Beaucoup d’Asniérois ignoraient, jusqu’à présent, son existence. Longtemps utilisé comme bâtiment scolaire (« École Ozanam » de 1897 à 1913, puis Institution Sainte-Agnès pour jeunes filles de 1913 à 1975), il n’attirait pas l’attention derrière son rideau d’arbres l’isolant de la rue du Château ; l’autre façade étant dissimulée derrière l’église Sainte-Geneviève.
On ne peut plus l’ignorer aujourd’hui. Il dresse sa majestueuse et élégante façade au cœur d’un espace dégagé, dominant ce qui reste de son parc, côté Seine. Les travaux de restauration sont assurés par les prestigieux « Monuments Historiques » et financés par la Ville d’Asnières, propriétaire des lieux, avec le concours de l’État, principal partenaire, ainsi que le Conseil général des Hauts-de-Seine.
Ces travaux, longtemps différés, ont débuté en 1994 mais ont été accélérés à partir de 2004 par la volonté du maire et du conseil municipal d’alors d’aboutir à une ouverture partielle du Château au public dès septembre 2006. Ce qui fut réalisé. Étonnement des Asniérois et de la presse. Pouvait-on imaginer un tel patrimoine dans une banlieue, somme toute « ordinaire » et si proche de Paris.
Tout de suite baptisé « Petit bijou de la petite Couronne » (92 Express), le Château d’Asnières a suscité immédiatement beaucoup de curiosité, admiration, émotion toujours présente et qui ne cesse de se renouveler. Tandis que se déroulent visites ou manifestations culturelles, les travaux de restauration se poursuivent très activement dans les surfaces en attente, travaux considérables faisant appel à de multiples entreprises spécialisées sous la direction actuelle de M. Frédéric Didier, architecte en chef des Monuments Historiques dont les travaux à Versailles sont bien connus (Galerie des Glaces, Château et Ville). Jusqu’en 2004, et pendant plus de dix années, M. Hervé Baptiste, également architecte en chef des Monuments Historiques, associé à M. Fabrice Ouziel, architecte d’intérieur, avaient assuré le gros œuvre, restauration des murs, façades, charpente et toiture, reprise des fondations, travaux de base urgents, vu l’état de délabrement de l’ensemble du bâtiment.
Asnières a beaucoup de chance d’avoir conservé son château. Il est l’un des rares survivant de tous les châteaux du XVIIIe siècle (et mêmes des siècles antérieurs) des Hauts-de-Seine.
Ont disparu, en effet, les deux imposants Château de Meudon (il en reste… l’observatoire !) et le charmant (et somptueux) Château de Bellevue à Sèvres, construit pour Madame de Pompadour, ainsi que le royal Château de Saint-Cloud. Incendié lors des combats de 1871, il aurait pu être sauvé. Il fut démoli dans l’indifférence générale.
Disparus aussi les châteaux de Neuilly. Celui construit par Philibert Delorme, à la Renaissance, côté Bagatelle, démoli en 1792 par un entrepreneur qui écrase les précieuses faïences pour en faire du mortier… et aussi celui édifié par le Comte d’Argenson, père du marquis de Voyer d’Asnières. Son souvenir demeure à Neuilly, boulevard du Château. Disparus aussi le Château d’Henriette d’Angleterre à Colombes et celui bâti par le maréchal de Richelieu à Gennevilliers, en 1749. On peut poursuivre cette énumération.
Quant au Château de Sceaux (Musée du département) c’est une copie réalisée au XIXe siècle de l’ancien Château de Sceaux.
Un château, c’est d’abord un homme ou une famille. Qui a pensé, voulu, en ce milieu du XVIIIe siècle, ce « petit bijou » d’Asnières ?
C’est un jeune homme. Né en 1722, il n’a que vingt-huit ans, mais c’est un grand seigneur, issu d’une illustre famille. Son père, Marc-Pierre, Comte d’Argenson, est ministre de la guerre, ami et confident du roi Louis XV, et le restera de 1742 à 1757. Le jeune Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson se destine à une carrière militaire comme beaucoup de ses ancêtres.
Il s’est distingué à la bataille de Fontenoy en 1745. Mais c’est aussi un lettré, ami des « philosophes » qu’il invitera, plus tard, à Asnières, amateur des Arts, peinture, sculpture mais surtout architecture… une passion qu’il développera toute sa vie. À peine aura-t-il terminé Asnières qu’il se lancera dans d’autres projets, et notamment le réaménagement de la Chancellerie d’Orléans, à Paris, qu’il habite avec sa famille.
En 1750, il jouit de la faveur du roi qui lui confie de multiples responsabilités. Il devient gouverneur de Vincennes, commandant militaire en Saintonge (il fait fortifier l’île d’Aix et assainir les marais de Rochefort). Enfin, il est nommé directeur des haras royaux.
Excellent cavalier, le marquis de Voyer est aussi connaisseur de chevaux que de tableaux. Il a introduit en France les races chevalines anglaises et sa compétence est grande. Il organisa de telle sorte les haras de son époque que Napoléon Ier, s’attachant à créer à nouveau des haras, en France, après la Révolution de 1789, adoptera la même organisation, dont les bases subsistent encore de nos jours.
En 1750, il est pressé par la nécessité d’installer au moins un « dépôt de chevaux » non loin de Versailles. Il lui faut, pour cela, un terrain assez vaste et il veut pour lui-même une belle demeure… cadre digne de sa collection de tableaux.
Le marquis connaît bien Asnières où beaucoup de nobles personnages ont une demeure où, tout au moins, une maison de campagne.
À proximité de l’église Sainte-Geneviève se trouve alors une propriété importante, la « Seigneurie d’Asnières ». Elle avait appartenu à l’Abbé Lemoyne, Chanoine de l’église Saint-Marcel à Paris (qui nommait les curés d’Asnières et percevait la dîme). La noble maison de l’Abbé Lemoyne fut vendue en 1707 à Dame Andrieu de Saint André, puis au Sieur Tourton. Madame de Parabère, joyeuse amie du duc d’Orléans, régent de France, l’occupe en 1719 mais pour trois années seulement, juste le temps d’y passer des soirées un peu folles et d’y apporter quelques embellissements. Monsieur Tourton la récupéra ensuite. C’est à ce dernier que le Marquis de Voyer va l’acheter à son tour. Entre 1750 et 1752, il va acquérir encore vingt-trois propriétés, maisons et terrains (les actes sont conservés aux archives de la mairie d’Asnières, à Poitiers et aux Archives Nationales).
Il possède ainsi environ quinze hectares entre la Seine, au sud, et l’église et le Village d’Asnières, au nord. Il fait démolir les bâtiments existants, sauf la Seigneurie. Il conservera également la grande maison du Sieur Moreau, au sud-ouest, qui servira de base à l’entrepôt général des haras.
Il se lance tout de suite dans la construction d’un bâtiment digne de ses ambitions. Il choisit pour architecte Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, petit-fils de Jules Hardouin-Mansart, architecte de Louis XIV pour Versailles. Celui-ci va utiliser en partie la vieille « Seigneurie » pour réaliser un vrai « château », imaginant l’imposant mais gracieux avant-corps sur les jardins où vont se concentrer les plus belles œuvres décoratives de tout l’ensemble. Le style « Rocaille » s’y exprime, qui mélange sculptures de fleurs et fruits, personnages de la mythologie (les mascarons des dessus de fenêtres) et sobriété des formes architecturales. C’est une réussite de l’art raffiné du XVIIIe siècle français.
Le Marquis de Voyer va appeler à travailler à Asnières, Nicolas Pineau et son fils Dominique, ornemanistes et sculpteurs, les plus réputés de leur époque et jusqu’en Russie où ils créent, pour le tsar Pierre Le Grand, les décors du palais de Peterhof.
Son peintre sera Jean-Baptiste Pierre, dont les œuvres, malheureusement, ont été enlevées, avec bien d’autres, du Château d’Asnières et vendues à de riches citoyens américains pour embellir les « châteaux » qu’ils se font construire à Newport (entre New York et Boston), au début du XXe siècle. C’est là que sera édifiée une réplique du Château The Elms (les Ormes), devenue aujourd’hui un musée.
Le Marquis de Voyer ne jouit pas longtemps de ce qui lui avait coûté tant d’argent et d’efforts. Dès 1757, la guerre reprend ; il est sans cesse en campagne. Au fil du temps, la faveur royale s’effiloche… le Comte d’Argenson, son père, est écarté du pouvoir. Il meurt peu après et les dettes se sont accumulées. Le Château d’Asnières est vendu en 1769 à un bourgeois fortuné, le Sieur Vaillant. De nombreux propriétaires lui succéderont au XIXe siècle (actes de vente aux Archives Municipales d’Asnières). Les uns y feront quelques travaux d’entretien, d’autres essaieront d’en tirer profit en morcelant le parc (ventes de terrains) ou en cédant le bâtiment à des organisateurs de fêtes, bals et loisirs, favorisés par l’arrivée du chemin de fer à Asnières (sous le règne de Napoléon III).
Au tout début du XIXe siècle, l’aile ouest du Château est démolie (emplacement aujourd’hui occupé par le Conservatoire de musique et l’ancienne chapelle de l’Institution Sainte-Agnès qui lui sert d’auditorium). Cette aile abritait le vestibule d’entrée du Château qui ouvrait sur l’allée principale du domaine, dont la rue du Château suit à peu près, actuellement, le cheminement.
Le Château d’Asnières demeure un superbe cadeau des générations passées aux générations présentes et « à venir ».
Puissent-elles retrouver là le goût du bien, du beau, et le plaisir de vivre ensemble.
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