Au XIXsiècle, Asnières est le rendez-vous, le pied-à-terre des demi-mondaines, des gens plus ou moins affairés, des artistes, des financiers, des oisifs. Les uns vont y chercher l’oubli d’une vie agitée, dans une solitude pleine de charme ; les autres y dissipent leurs jeunes années dans les plaisirs. Mais on ne vient pas seulement à Asnières pour y livrer ou assister à l’exercice du canotage mais aussi pour aller au Bal.
Le XIXe siècle est l’apogée des bals publics. Au milieu de ce siècle, les amateurs de distractions faciles fréquentent des bals réputés pour l’ambiance délurée qui les caractérise. Beaucoup de Parisiens vont volontiers, le dimanche, en des lieux où le conformisme cède la place à la liberté d’allure. À l’heure des quadrilles et des valses à trois temps, le château aménagé par certains entrepreneurs de plaisirs, retrouve à son tour un nouveau pôle d’intérêt. En effet, depuis 1837, le premier train(1) passe à Asnières ! Le château est alors libre ; son parc, qui n’est pas encore morcelé, s’étend toujours jusqu’à la Seine. Quel cadre magnifique pour ces distractions en pleine nature !

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Gravure Provost (Archives municipales)

L’affluence qui se porte à Asnières inspira aux spéculateurs d’y créer des bals. On dresse un orchestre dans une allée ; ici on installe des jeux forains sur les pelouses, là un restaurant dans la salle à manger et dans la galerie.
Voici comment : « Asnières est aujourd’hui le pays le plus à la mode parmi la jeunesse parisienne des deux sexes. Le bal est en grande réputation, et lutte avec avantage avec Mabille, La Chaumière, le Ranelagh, la Closerie des Lilas et d’autres lieux de danse et de plaisir. » Chaque semaine, un programme féerique était annoncé au Parc d’Asnières : « La fête Espagnole », « La fête des Roses », « La fête des Vendanges », « La fête des Loups », où les dames sont admises avec des « loups ». Il y aura aussi « Le bal des Canotiers » et celui « des Grisettes ».

Tissus légers des tenues estivales, crêpe, tulle et mousseline s’épanouissent en corolles près des « Fontaines enchantées » et de l’idyllique « Galerie des soupirs » d’où l’on peut admirer la Seine, ajoutent aux jardins un attrait mystérieux. De vastes ombrages, des allées immenses, de riches pelouses s’ouvrent aux visiteurs, qui s’y rendent en plus grand nombre encore, peut-être pour goûter le plaisir de la promenade plus que celui de la danse. Des dizaines de lustres en cristal suspendus et des réverbères accrochés sur les arbres de l’allée illuminaient les invitées du Bal. Peut-on imaginer un décor plus propice à l’aimable laisser-aller, au badinage inconséquent, à l’amourette ? Un fleuve miroitant, couvert d’embarcations, des terrasses où l’on se rencontre, des spectacles frivoles, des tables accueillantes dressées à l’abri des charmilles et la profondeur pleine de surprises d’un parc de château, illuminé de pied à tête, transformé sous la Lune en gigantesque piste de danse ! Sur les pelouses, qu’éclairent les ballons lumineux, on mange des laitages, on peut déguster des fraises à la crème et acheter aux bouquetières l’odorant souvenir d’un moment d’insouciance.

En 1865, « La Salamandre », colossale montgolfière, fait une grandiose ascension nocturne. Celui qui la monte est Godard, aéronaute de Napoléon III. À noter qu’il faisait des ascensions aérostatiques au Bal d’Asnières en 1854.
Le château est aussi le cadre de fêtes exceptionnelles, comme en témoigne la « Fête de l’Alliance des Lettres et des Arts » de 1850. Mille huit cents chanteurs, cent clairons, deux cents tambours étaient présents parmi vingt mille spectateurs.
Le souvenir d’un grand repas de mille couverts nous est resté : il a été donné pour les employés du quotidien Le Siècle qui, attaché au château en 1849, y célébrait chaque année depuis le 1er juillet 1836, l’anniversaire de sa fondation.
En effet, le parc d’Asnières est à cinq minutes de la station d’Asnières, au-dessous du pont. Souvent, quand le temps est beau, le parc d’Asnières compte, dans sa vaste enceinte, plus de 6 000 personnes, danseurs ou curieux ; aussi, l’administration du chemin de fer y a fait établir des succursales, pour la distribution des billets de retour. Quand chacun a suffisamment exploré le parc d’Asnières, il doit regagner Paris ou Saint-Germain, à moins qu’il ne revienne à la capitale en suivant les bords de la Seine jusqu’à Neuilly, charmante promenade de trente minutes.
Mais ces fêtes qui coûtent cher ne laissent pas toujours de grands bénéfices ; elles prendront fin avec la chute du Second Empire : de par la trop fréquente absence de soleil qui empêcha le succès des fêtes d’Asnières. Les années froides et pluvieuses se suivent, les intempéries n’étaient pas faites pour arrêter la masse de canotiers qui était habituée à prendre la route d’Asnières. Il fallait autant de temps pour se rendre de la gare au château que d’Asnières à Paris. Ces considérations éloignèrent la foule et le château d’Asnières ferma ses portes.

Donara BAGHDASARYAN

1. La gare est ouverte à l’origine sur la ligne Paris – Saint-Germain-en-Laye, le 5 août 1838. En 1839, la ligne Paris-Saint-Lazare – Versailles-Rive-Droite est mise en service : Asnières devient une gare de bifurcation, avec l’aménagement de nouveaux quais sur cette ligne le 30 octobre 1840.

Bibliographie
– Archives municipales d’Asnières-sur-Seine.
– BNF.
– Actualité de l’Histoire. Dossier, n° 26D, juillet-août 2009.
– Revue et Gazette musicale, 1er septembre 1850.
– Joanne Adolphe. Les Environs de Paris illustrés : itinéraire descriptif et historique. Paris : Hachette, 1856.
– Émile De la Bédollière. Histoire des environs du nouveau Paris (Illustrations de Gustave Doré). Paris : Gustave Barba, 1861.